Les allergies croisées
On parle d’allergie croisée quand un individu réagit à des protéines présentes dans des substances végétales ou animales taxonomiquement proches, ou à des protéines ayant une grande homologie de structure mais issues de sources d’allergènes très différentes.
- On constate 3 types d’allergies croisées impliquant des aliments :
- aliments – pneumallergènes
- aliments – aliments
- aliments – latex
Les allergies croisées aliments – pneumallergènes
Des individus allergiques aux pollens de bouleau, de composées, ou encore de graminées… peuvent développer des symptômes lors de l’ingestion de certains aliments.
En cas d’allergie au pollen de bouleau, 50 à 60 % (voire même 70 %) des patients sont sensibilisés aux fruits et légumes de la famille des rosacées (pomme, poire, pêche, abricot, prune, cerise, carotte, céleri, … ), aux noisettes, aux amandes, aux noix de coco, aux châtaignes et aux noix. L’allergénicité de ces fruits et légumes est réduite, voire détruite, lors de la cuisson.
Au moins 50 % des personnes allergiques au pollen de composées, telles que l’armoise et l’ambroisie, présentent une sensibilisation au céleri (ombellifère). Des personnes allergiques aux épices (poivre, moutarde, anis, fenouil, coriandre, cumin, curry) et au céleri peuvent présenter une pollinose, notamment dirigée contre l’armoise.
Il peut aussi exister une allergie aux pollens de graminées et aux solanacées (tomate, pomme de terre, poivron).
On peut rencontrer des sensibilisations croisées entre les acariens, les escargots et la crevette. Un allergique aux acariens peut présenter des symptômes en consommant des crevettes ou des escargots.
On a également décrit le « syndrome œuf-oiseau » (après un contact prolongé avec des oiseaux, des individus peuvent développer une allergie alimentaire à l’œuf). Il peut aussi exister une allergie croisée entre le blanc d’œuf de poule et celui d’œuf de cane, d’oie ou de dinde ainsi qu’entre le blanc d’œuf de poule et la viande de poulet.
On a décrit également un « syndrome porc-chat ».
Les allergies croisées aliments – aliments
Il s’agit d’allergies croisées à différents aliments d’une même famille botanique (les légumineuses, les rosacées, les solanacées, les ombellifères, les brassicaceae…), aux laits de différentes espèces de mammifères (lait de vache, chèvre, jument, anesse), aux différentes viandes par l’intermédiaire d’une sensibilisation à la sérumalbumine, aux différents crustacés et mollusques (sensibilisation à la tropomyosine).
Les allergies croisées aliments – latex
Il existe des réactions croisées entre le latex et certains aliments (banane, avocat, kiwi, châtaigne, papaye, ananas, arachide, melon, tomate, céleri, fruit de la passion …) (= syndrome latex – fruits) . La liste des aliments impliqués s’allonge régulièrement.
Le dépistage d’une allergie alimentaire nécessite une démarche diagnostique précise et cohérente. Différents moyens sont utilisés :
L’interrogatoire
Quelquefois, une histoire clinique convaincante est suffisante pour poser le diagnostic d’une allergie alimentaire. Sampson l’a définie comme une réaction anaphylactique apparaissant moins d’une heure après l’ingestion de l’aliment isolé, connue depuis moins de 3 ans, et ayant nécessité un traitement médical d’urgence. Dans tous les autres cas, il est nécessaire de réaliser d’autres investigations.
Le médecin devra alors s’intéresser aux antécédents familiaux atopiques (80% des cas) et aux antécédents personnels atopiques (= facteur de risque pour le développement d’une allergie à un nouvel aliment).
Le médecin devra aussi effectuer un examen clinique (de la peau, des voies respiratoires…) et interroger le patient sur le délai d’apparition des symptômes, le nombres de réactions déjà observées, les modifications (voire aggravations ou améliorations) éventuelles des signes lors des ré-expositions… L’interrogatoire va essayer de déterminer le ou les aliment(s) susceptibles d’induire des réactions (+ quantité d’aliment(s) provoquant des signes).
Les médecins s’aident quelquefois d’un questionnaire standardisé afin de faciliter l’interrogatoire et d’éviter les oublis :
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Les tests cutanés
Les prick tests
Comme l’expliquent Rancé et Bidat, « Les tests cutanés sont réalisés par prick test, technique simple, rapide et très spécifique. Une goutte d’allergène est déposée sur la peau, puis une piqûre est réalisée à travers la goutte de réactif. Ils sont réalisés au niveau du bras ou du dos et sont espacés de 3 cm. Différentes aiguilles pour prick tests sont disponibles et le choix dépend de l’expérience de chaque utilisateur. La lecture du test est effectuée à 15 minutes. La plupart des fruits et légumes perdent rapidement leur activité allergénique et leurs allergènes ne sont pas représentés de façon suffisante dans les extraits commerciaux. Pour cette classe d’aliments, on utilise de plus en plus fréquemment des produits frais ou dits natifs ; le prick test est alors réalisé en piquant le prick dans l’aliment puis en effectuant la piqûre sur le dos (prick + prick). La valeur prédictive négative est excellente avec les extraits natifs, de sorte que des tests cutanés négatifs pourraient exclure une allergie alimentaire. En revanche, un test cutané positif témoigne d’une simple sensibilisation justifiant de poursuivre les explorations pour préciser s’il s’agit d’une authentique allergie alimentaire. Les extraits frais donnent une réponse plus forte que les extraits commerciaux, ils sont aussi plus sensibles. »
Les tests cutanés ont une excellente sensibilité (›95%) mais une faible spécificité de 50% (si l’on ne tient pas compte de l’histoire).
Avant de faire les tests cutanés, on doit arrêter la prise d’anti-histaminiques pendant plusieurs jours (en fonction du type de médicament pris). On réalise aussi 2 prick tests afin d’interpréter le test : il s’agit d’un témoin positif pour vérifier que la peau réagit normalement (tout le monde réagit) et d’un témoin négatif pour s’assurer que la peau ne présente pas de réaction avec les extraits dilués.
Les patch-tests ou tests épicutanés
Ils permettent de diagnostiquer l’hypersensibilité retardée et sont utiles dans les eczémas de contact.
Il s’agit de timbres adhésifs sur lesquels sont fixées des cupules contenant les allergènes. Ces patchs sont placés dans le dos dans une zone exempte d’eczéma et la lecture est réalisée à 48 et 72h, 20 minutes après le retrait des patchs.
D’après Strömberg, les patch-tests seraient plus sensibles que les prick tests pour diagnostiquer l’allergie alimentaire chez les enfants souffrant d’eczéma / dermatite atopique, spécialement chez les moins de 2 ans.
Mehl et al. estiment que, bien que la capacité prédictive des patch-tests soit améliorée quand ils sont combinés avec des mesures d’IgE spécifiques ou des prick tests, les tests de provocation orale deviennent superflus chez seulement 0,5 à 14% des patients étudiés.
D’après Canani, les patch-tests seraient utiles pour diagnostiquer les enfants souffrant de symptômes gastro-intestinaux liés à une allergie alimentaire. La précision diagnostique des patch-tests serait plus élevée avec des aliments frais qu’avec des extraits commerciaux.
Les tests in vitro – prise de sang
Les tests in vitro (RAST et ELISA par exemple) sont également effectués pour rechercher une éventuelle allergie alimentaire médiée par les IgE mais ils sont considérés comme moins sensibles et moins spécifiques que les tests cutanés.
Le dosage des IgE totales
Ce dosage ne sert pas à grand-chose dans le dépistage d’un terrain allergique car des IgE totales élevées peuvent être le signe d’infections virales ou de parasitoses par exemple.
Le dosage des IgE spécifiques
Comme pour les tests cutanés, des IgE spécifiques à un allergène positives montrent qu’il existe une sensibilisation. Sans réaction allergique, on parle de sensibilisation. Lors de manifestations cliniques au contact de l’allergène, on parle d’allergie.
Les tests de provocation
Le test de provocation labiale
Au cours de ce test, on met les lèvres en contact avec des aliments afin de vérifier s’il y a manifestation allergique ou non. Ce test est simple, rapide et peu coûteux.
Le test de provocation orale
Lorsque l’on n’arrive pas à déterminer s’il y a sensibilisation (les tests cutanés et/ou sanguins sont positifs) ou allergie, on pratique un test de provocation orale avec des quantités croissantes d’aliment(s). Ce test permet de cibler le ou les allergène(s) responsable(s) des réactions et d’éviter des évictions alimentaires inutiles. Le fait de donner des quantités de plus en plus importantes d’allergène permet de déterminer la quantité d’aliment qui déclenche les réactions (= dose cumulée réactogène) ainsi que le type de symptômes. Cela permet d’évaluer le risque encouru par la consommation accidentelle de l’aliment et ainsi de prendre les mesures thérapeutiques nécessaires.
Le test de provocation orale nécessite également l’arrêt des médicaments (corticoïdes et anti-histaminiques) pendant plusieurs jours.
Il existe différents types de tests de provocation orale : en ouvert (la patient et le médecin sont au courant du contenu du test), en simple aveugle (seul le médecin connaît le contenu du test) et en double aveugle (aucun des deux ne connaît le contenu du test).
Le test en ouvert est très utile pour éliminer les causes. Ce test est suffisant chez la plupart des patients chez qui l’on suspecte une allergie pour confirmer un diagnostic.
Le test en simple aveugle est utile pour confirmer des symptômes objectifs.
Le test en double aveugle est réalisé dans des circonstances particulières : un contexte psychologique difficile, une croyance familiale ancrée pour de multiples aliments, un syndrome d’allergies multiples, les symptômes subjectifs du grand enfant (douleurs abdominales, myalgies), la prise accidentelle d’un aliment suspect sans réaction clinique et persistance de la croyance familiale dans l’allergie alimentaire et des études scientifiques en allergologie alimentaire (Rancé et Bidat).
Les tests de provocation en double aveugle contrôlés par placebo (DBPCFC – double-blind placebo-controlled food challenge) sont les « étalons or » pour le diagnostic des allergies alimentaires et pour valider les études en allergologie alimentaire. cependant, ils prennent du temps, sont onéreux et peuvent être pénibles pour le patient (risques de réactions systémiques sévères).
Ils doivent être réalisés par un personnel entraîné et dans un lieu où un équipement permettant de prendre en charge les réactions d’anaphylaxie est disponible immédiatement (c’est-à-dire en milieu hospitalier).
Ces tests sont contre-indiqués chez les patients avec une histoire évidente d’anaphylaxie suite à l’ingestion isolée d’un aliment. Cependant, si plusieurs aliments ont été consommés par le patient et que plusieurs tests cutanés sont positifs, il est primordial d’identifier l’aliment responsable !
L’Académie Européenne d’Allergologie et d’Immunologie Clinique (EAACI) s’est positionnée concernant la standardisation des tests de provocation chez les patients souffrant de réactions immédiates.
Conclusion
On peut résumer en reprenant un texte de Juchet : « Dans l’allergie alimentaire IgE-dépendante, la positivité des prick tests et des IgE spécifiques permet uniquement de poser le diagnostic de sensibilisation alimentaire. Le diagnostic d’allergie alimentaire est confirmé par la positivité du test de provocation orale. Dans les formes mixtes et non IgE-médiées d’allergie alimentaire, les prick tests doivent être complétés par des atopy patch tests aux aliments consommés couramment par l’enfant. En cas de positivité, la pertinence des tests est affirmée par l’amélioration des symptômes sous régime d’éviction. La récidive des symptômes lors d’un test de provocation orale confirmera le diagnostic d’allergie alimentaire. »
A. Augmentation de la fréquence des allergies : observations
En général, les allergies sont plus fréquentes chez les riches que chez les pauvres, dans les villes qu’à la campagne et dans les pays de l’Ouest que dans ceux de l’Est. Ainsi, l’asthme est rare en Europe de l’Est et sa prévalence est élevée dans les pays industrialisés et anglophones comme l’Angleterre, l’Australie, l’Irlande et l’Amérique.
B. Les causes possibles de l’augmentation
Les professionnels de la santé sont de plus en plus vigilants en ce qui concerne les allergies alimentaires. En effet, auparavant, la prévalence était sous-estimée ; ce qui nous conduit à relativiser l’accroissement récent des chiffres de prévalence observés.
Cependant, certaines études montrent que l’augmentation de la prévalence pourrait être expliquée par d’autres facteurs.
Il semblerait qu’un âge maternel supérieur à 30 ans, à la naissance (surtout s’il s’agit du premier enfant), serait un facteur de risque important.
D’après Langhendries, les études épidémiologiques des dernières années démontrent que l’infection au sens large dans le jeune âge est susceptible de diminuer le risque de voir se développer ultérieurement des phénomènes atopiques. La colonisation bactérienne du nouveau-né est capitale dans la prévention des allergies. Plusieurs constatations ont été faites : Le mode de délivrance serait un facteur de risque : il faut privilégier les accouchements par voie basse car c’est le meilleur moyen d’avoir une colonisation microbienne plus adéquate (via la flore vaginale mais surtout fécale de la mère) ; il faut encourager un allaitement maternel exclusif prolongé qui va permettre le développement d’une flore intestinale riche en bifidobactéries et en lactobacilles ; il faut éviter les antibiothérapies qui ne semblent pas justifiées. Si, malgré tout, elle est indispensable, elle doit être la plus courte possible et choisir un antibiotique avec un spectre étroit ; il faut également bannir une diversification alimentaire précoce. Elle doit être lente et progressive.
La théorie « hygiéniste » pourrait expliquer la hausse des réactions allergiques dans nos contrées vu l’amélioration de l’hygiène dans nos sociétés. En effet, notre mode de vie « aseptisé » conduirait à une évolution du système immunitaire des jeunes enfants vers un profil de type Th2 (lymphocytes) associé à des réactions IgE-dépendantes, au détriment du profil de type Th1 (moins impliqué dans les réactions allergiques).
Notre environnement a également changé (confinement des appartements, climatisation…). La pollution, automobile en particulier (ozone, particules de diesel) aggrave les symptômes d’allergie mais son rôle initiateur de sensibilisation reste incertain.
Les vaccinations seraient également un facteur de risque des allergies.
Nous avons également la chance de disposer d’une large gamme de denrées alimentaires provenant d’horizons divers, qui sont autant d’allergènes potentiels pour les consommateurs (ex. fruits exotiques). Les habitudes alimentaires se sont modifiées au cours du temps avec une diminution de la consommation d’acides gras oméga-3 , une augmentation des apports en oméga-6 et une réduction des apports en antioxydants.
Le consommateur est aussi exposé à des allergènes masqués issus des produits de l’industrie agroalimentaire. Ces produits sont de plus complexes et contiennent parfois des allergènes dont on ne soupçonne pas l’existence (ex. contaminations).
C. La situation générale
On évalue la prévalence des allergies alimentaires entre 2 et 4 % tous âges confondus. Il semblerait qu’elle ait doublé en 10 à 15 ans. Elle est aussi plus fréquente chez l’enfant que chez l’adulte.
Bien qu’il y ait assez bien de publications concernant la prévalence des allergies alimentaires, il n’est pas évident de déterminer si l’on peut tirer des conclusions des rapports quant à la cohérence des estimations et la qualité de l’information (différences dans les objectifs, ou la méthodologie ou encore différences entre les populations). C’est pourquoi il est recommandé que les études soient faites en utilisant des méthodes standardisées, si possible des tests de provocation.
On estime la prévalence des allergies alimentaires chez les enfants à 6 à 8 %.
Venter et ses collaborateurs (UK) ont réalisé une étude sur 969 enfants âgés de 1 à 3 ans. Ils en ont conclu que 5 à 6 % des enfants souffrent d’allergie alimentaire (chiffres basés sur l’histoire clinique et des tests de provocation). Les principaux aliments impliqués étaient le lait de vache, l’œuf de poule et l’arachide. A l’âge de 3 ans, ¾ des enfants avaient perdu leur hypersensibilité au lait et la moitié à l’œuf.
D. L’auto-perception en chiffres
La population générale a tendance à surestimer la fréquence de l’allergie alimentaire.
Une méta-analyse réalisée par Rona et al. démontre une hétérogénéité marquée pour la majorité des estimations de la prévalence, en ce qui concerne l’hypersensibilité alimentaire perçue : les variations pour chaque estimation variait de 1,2% à 17% pour le lait de vache, de 0,2% à 7% pour les œufs, de 0% à 2% pour l’arachide et le poisson, de 0% à 10% pour les crustacés et de 3% à 35 % pour tous les aliments.
Ces prévalences sont bien au-dessus des estimations de prévalence basées sur des évaluations objectives incluant des prick tests cutanés, un dosage des IgE ou un test de provocation.
Les réactions adverses aux aliments : classification
Les symptômes liés aux allergies sont variables et peuvent toucher différentes parties du corps :
Les symptômes cutanéo-muqueux
La conjonctivite
Elle accompagne souvent la rhinite. La conjonctivite se subdivise en différents sous-groupes :
On peut également parler de conjonctivite allergique intermittente et conjonctivite allergique persistante, comme pour la rhinite (voir § relatif à la rhinite). Le plus souvent, la rhinite s‘associe à une conjonctivite, on parle alors de rhino-conjonctivite.
La plupart des allergies alimentaires sont acquises dans les 2 premières années de vie. La disparition d’une allergie dépend à la fois de l’enfant et du type d’allergie (aliment mis en cause). Par exemple, la plupart des allergies au lait disparaissent avec le temps, mais par contre, la plupart des allergies aux arachides et aux fruits à coque durent toute la vie. En plus, bien que certains enfants deviennent tolérants au lait en quelques mois, le processus peut prendre plus de temps chez d’autres enfants (8 à 10 ans) !
On a l’impression qu’une éviction stricte de l’aliment responsable d’une allergie peut aider au processus de guérison et même l’accélérer et que des expositions répétées même à de petites quantités d’allergène peuvent retarder le développement d’une tolérance chez certains patients. En pratique, on peut voir des enfants qui perdent rapidement leur(s) allergie(s) sans éviction stricte et d’autres qui gardent leur(s) allergie(s) même avec une éviction très rigoureuse.
Le dose d’aliment déclenchant des réactions évolue au cours du temps : un nourrisson qui réagit à des doses infimes d’allergènes peut, en grandissant, réagir à des doses plus importantes.
Quoi qu’il en soit, il faut suivre une éviction stricte, au moins pour éviter les symptômes et dans l’espoir d’accélérer le processus de guérison. Un diagnostic précoce est également important : plus l’aliment incriminé dans l’allergie est supprimé tôt de l’alimentation, plus les chances de guérison semblent augmenter.